Le Village Maudit
Autrefois, non loin de Heinlé (en Langon), se trouvait un petit village dont personne n'a jamais su le nom. Blotti au bord de l'étier, caché par les roseaux, il semblait endormi.
Les habitants, pêcheurs ou chasseurs, ne se souciaient guère de leurs voisins d'alentour. On aurait cru que leur journée ne commençait qu'à la tombée de la nuit, au moment où les bateliers et les haleurs s'empressaient de tirer leurs bateaux le long de l'étier et de demander l'hospitalité dans les maisons du village. Ces derniers, en effet, s'arrêtaient en ce lieu pour y passer la nuit. C'était une étape tout indiquée pour ceux qui venaient de Redon et montaient sur le Port de Messac.
Les bateliers étaient attendus avec impatience. Dès leur arrivée, la maison tenant lieu d'auberge se emplissait : hommes et femmes, jeunes et vieux, bateliers et haleurs, tous se retrouvaient pour la soirée. On festoyait, on chantait, on dansait tard dans la nuit.
Cependant depuis longtemps déjà, quelques bateliers et haleurs s'étaient éclipsés pour rejoindre la charmante hôtesse qui les accueillait. Certaines femmes, dit-on, peu avares de leur vertu, essayaient d'apporter un dépaysement complet à ces forçats de la rivière moyennant un petit dédommagement financier. À l'aube, bateliers et haleurs repartaient, le village retombait dans sa léthargie.
Les habitants des alentours n'appréciaient guère ces soirées de débauche dont le bruit s'entendait jusque chez eux. Quel exemple pour leurs enfants ! Ils s'en plaignirent aux autorités religieuses de la paroisse et leur demandèrent d'agir contre les occupants de ce village maudit, des païens qui ne disaient jamais de prières et n'allaient jamais à la messe. Les religieux organisèrent des veillées, même des processions, pour implorer auprès de Dieu la protection de leurs fidèles et la punition de ces mécréants.