La Fosse Rouge

Publié le par mistisy

Il y a très longtemps, à la tombée de la nuit, un paysan regagnait sa chaumière au hameau de la Hocquinaie. Il était venu livrer du bois à des gens du bourg et rentrait chez lui au rythme lent de ses bœufs. Cette allure ne lui convenait guère, lui qui avait l'habitude de marcher à grandes enjambées. Rapidement, il prenait deux toises d'avance sur ses bêtes. Il se retournait alors, revenait vers elles et piquait avec son aiguillon de houx celle qui lui paraissait la moins courageuse en poussant des "Ha ! Ha ! " gutturaux qui seuls troublaient le calme de cette fin de journée. Les bœufs redressaient alors la tête et donnaient l'impression d'accélérer, mais le chemin était parsemé d'ornières et, à la première, ils reprenaient leur cadence habituelle. Le manège se répétait régulièrement, et ce va-et-vient continuel donnait à l'homme l'occasion de réfléchir à quelques projets que la vente de son bois lui permettait d'entretenir.

 

Son épouse l'avait suivi au Bourg. Elle avait assisté à la transaction et avait empoché l'argent de l'affaire. C'était une maîtresse-femme que l'on disait jolie. Elle avait accompagné son mari pendant quelques temps au retour, mais très tôt elle l'avait laissé, prétextant qu'elle partait devant pour préparer le souper. Elle avait emprunté la voie la plus facile, c'est-à-dire la sente piétonnière qui longeait par endroits le chemin et lui évitait les inconvénients de la saison. L'automne était là, en effet. Il avait plu les jours précédents, et la boue avait fait son apparition.

 

Pendant ce temps le bouvier, ses choques couvertes de gadoue, précédait son attelage dans une sorte de long fossé très encaissé. Son aiguillon retenu par une main sur son épaule, il avançait, lissant de temps à autre avec son autre main les longues moustaches qui lui barraient le visage, ou relevant le bord de son chapeau de feutre comme s'il cherchait à dissiper la pénombre qui envahissait les lieux. C'est alors qu'un individu caché près d'un châtaignier sur le talus l'assaillit brusquement au milieu du chemin et le larda de coups de couteau. Surpris, le paysan n'eut pas le temps de se défendre. Grièvement atteint, il s'écroula sur le sol, tandis que son agresseur prenait la fuite, son forfait accompli. Le malheureux perdait son sang en abondance. Il s'évanouit bientôt et mourut sans avoir repris connaissance.

 

Ce meurtre fit grand bruit dans le pays. Un si brave homme, un travailleur, disaient les uns en parlant de l'innocent qui avait été assassiné. Une bien jolie veuve, rétorquaient les autres en s'enquérant déjà du bon parti qu'elle pourrait encore réaliser. Peu à peu les langues se délièrent. On dit que le ménage ne marchait plus très fort depuis longtemps. On raconta aussi que la femme était de mèche avec nl'assassin...

 

Que ne fut-il pas dit à ce sujet ?

 

Sans prévenir les pluies de l'hiver étaient arrivées, mais elles ne réussirent pas à effacer les traces du crime. À l'endroit où le bouvier s'était effondré sous les coups de couteau de son agresseur, le sang avait imprégné la terre. Les taches demeurèrent visibles très longtemps. Bien des mois plus tard, les gens du pays, passant par là, les montraient encore du doigt, mais se sauvaient vite par peur de faire de mauvaises rencontres.

 

C'est à la suite de ces événements que cette partie du chemin aurait pris le nom de " Fosse Rouge ".

 

Les gens ne craignent plus désormais d'emprunter cette route de la Hocquinaie. À la Fosse Rouge, de coquettes maisons se sont construites et il n'y a plus trace du vieux chemin encaissé. Tout au plus un taillis de châtaigniers conserve-t-il les vestiges de la grande châtaigneraie qui le bordait et dont les arbres séculaires ont disparu au moment de la construction de la voie moderne, emportant avec eux le souvenir de cette grande foire qui s'y déroulait tous les ans sous leurs frais ombrages.

 

(Tradition orale de GUIPRY).

Publié dans => contes de bretagne

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B
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