Le Pont Tirouet

Publié le par mistisy

Le pont du Pâtis Rouet, près du village de Tréven, permettait autrefois au

 

chemin reliant Lohéac au port de Guipry d'enjamber le ruisseau de Tréfineu. Mais les

 

gens du pays estimaient que son nom était trop long à prononcer. Ils l'appelaient plus

 

simplement le Pont Tirouet.

 

De l'Hôté Vinaud jusqu'au ruisseau le chemin était encaissé entre deux talus sur lesquels avaient poussé des chênes trapus tout difformes, rarement émondés. Il y faisait sombre et la personne qui s'y aventurait avait souvent l'impression de voir des formes curieuses se déplacer entre les arbres.

 

Le Pâtis Rouet et celui de Pelouaille bordaient l'autre rive du cours d'eau. Dieu !

 

Que l'endroit était triste et faisait peur avec ses halliers épais, surtout les nuits d'hiver, lorsque le chuintement d'une chouette se faisait entendre au-dessus de la tête d'un voyageur attardé. Ce dernier marquait un temps d'arrêt. S'apercevant soudain qu'il y avait une ombre à côté de lui, il était pris de peur et se mettait à courir de toute la vitesse de ses jambes. À bout de souffle, il s'arrêtait enfin et constatait que l'ombre qui l'escortait n'était en réalité que la sienne, celle que dessinait la clarté de la lune en se jouant de son corps.

 

Ce chemin était très passager. Les seigneurs de Lohéac, s'en allant au Port de Guipry, l'empruntaient, tout comme les paysans de la région, désireux de vendre leurs produits au marché de la halle ou faire leurs dévotions à l'église Saint-Pierre du Bourg. Tout le monde aurait pu croire que c'était un chemin tranquille, où il ne se passait jamais rien. Et pourtant, le diable rôdait souvent près du Pont Tirouet.

 

Un après-midi de mars, pendant le Carême, trois femmes, qui venaient du Tertre et se rendaient à l'église de Guipry pour assister à un office, l'aperçurent au détour du chemin, assis sur l'épaisse dalle de pierre servant de tablier au pont. Habillé de noir, avec ses deux cornes sur le front et sa fourche à la main, il balançait ses jambes au-dessus de l'onde. Les yeux fixés sur le fond du ruisseau, il paraissait plongé dans une mystérieuse méditation. Les femmes eurent très peur et s'en retournèrent vite chez elles.

 

Une autre fois un charretier descendait à la tombée de la nuit le chemin creux avec un lourd chargement de bois. C'était l'hiver. Il y avait beaucoup de boue et l'homme ne vit que trop tard la profonde ornière où s'enlisa sa charrette. Pendant quelques minutes il excita les deux chevaux de l'attelage pour le sortir de sa mauvaise posture, mais rien n'y fit. Les deux bêtes ruisselaient de sueur et le charretier avait mal à la gorge, tellement il avait crié. Il cherchait une solution pour se tirer d'affaire, quand dans la pénombre il perçut un ricanement qu'il prit pour celui du diable. En même temps, il entrevit une ombre furtive qui se déplaçait d'un arbre à l'autre. Le charretier n'hésita pas une seconde. Il fonça en direction de cette ombre, fit claquer plusieurs fois son fouet et s'arrêta pour écouter. Il entendit le diable patauger dans les varvatières bordant le chemin du Pâtis de Pelouaille. Le malin avait bel et bien pris la fuite...

 

Revenu près de ses chevaux, le charretier les caressa et les prépara pour un nouveau départ. Au signal, la charrette s'ébranla sous l'effort de l'attelage et sortit de l'ornière.

 

Pas de doute, le diable était bien pour quelque chose dans cet incident.

 

Les jours d'enterrement à cette époque étaient de vraies corvées pour les habitants du pays. Imaginez un cercueil que quatre hommes devaient porter à l'épaule et emmener ainsi à l'église de Guipry. Le long cortège, corps du défunt en tête, suivi de sa famille et de ses amis, s'en allait par le chemin creux et sombre, souvent fangeux, où l'on n'avançait qu'avec beaucoup de difficultés. Debout sur le talus, collé à un chêne, le diable observait la scène. Il avait l'air malheureux et ne ricanait même pas. Il savait bien que le défunt n'irait pas en enfer. Les gens de la région étaient de si bons chrétiens qu'ils ne méritaient au pire que le purgatoire. Il ne pouvait donc guère se réjouir.

 

Pauvre diable ! On ne le voit plus maintenant aux abords du Tréfineu. Depuis la construction de la route de Lohéac à Guipry, le chemin du Pont Tirouet a été délaissé.

 

Les voyageurs utilisent la nouvelle voie de communication. Sans doute ne se manifestera-t-il plus jamais dans ces parages. Le remembrement de ces dernières années a détruit tous ses lieux de prédilection. Le chemin creux a été aplani, la dalle de pierre du pont a été cassée en deux et les morceaux enlevés. Quant aux pâtis, ils sont devenus des champs comme les autres, où poussent désormais le mais et le blé.

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