Les lavandières du Gué Riotais

Publié le par mistisy

A la belle saison les femmes de la Chopinais avaient l'habitude, autrefois, de s'en aller, peu avant la tombée de la nuit, laver leurs hardes dans l'eau de la Vilaine, au gué Riotais, un gué situé près de chez elles à hauteur des hameaux de Tréguily en Messac et de la Guignardais en Guipry. À cette époque de l'année, les journées étaient longues, les travaux des champs pénibles : la fenaison, la moisson exigeaient beaucoup de sueur de leur part et de celle de leurs hommes. Il fallait donc changer souvent de vêtements et laver. "La lessive est un travail de femmes" disaient-elles.

 

Loin de le considérer comme une corvée, elles partaient en groupe joyeux retrouver les boîtes à laver que leurs maris avaient mises en place au début de mai. Le temps de la lessive se déroulait comme un moment de récréation.

 

Un soir elles frottaient leur linge dans l'eau claire de la rivière et prenaient beaucoup de plaisir à l'évocation des potins locaux. Les plaisanteries se succédaient et leurs rires joyeux couvraient même les coups de leur battoué. C'est alors que vint à passer une femme tout de noir vêtue, le visage dissimulé sous un châle. Elle demanda aux femmes de la Chopinais si elles avaient besoin de son aide. Les lavandières furent étonnées. C'était la première fois que leur était faite une telle proposition. - Je veux bien répondit l'une d'entre elles, mère d'une nombreuse famille. J'ai beaucoup de hardes à laver et il m'en reste encore à la maison.

 

Ses compagnes se proposèrent aussi de l'aider, mais devant l'attitude hautaine de la nouvelle venue elles n'insistèrent pas. Elles quittèrent le gué Riotais sitôt leur buée terminée.

 

L'inconnue était experte dans l'art de laver. Le tas de vêtements de la lavandière qu'elle s'était proposée d'aider, diminuait rapidement : - Va donc chercher le linge que tu as encore chez toi lança-t-elle à cette dernière. À nous deux ce ne sera pas long.

 

Ensuite tu seras tranquille pour longtemps. - Bien, répliqua la lavandière. J'y vais. Je serai de retour dans quelques minutes.

 

Là-dessus elle courut rapidement vers sa maison, toute heureuse à l'idée d'en terminer avec sa lessive en retard.

 

- C'est une pauvre mendiante pensa-t-elle. Pour la récompenser je lui donnerai un morceau de pain tout à l'heure.

 

À son arrivée elle trouva son mari qui finissait de donner à manger aux bêtes. Il fut très surpris de la voir rentrer seule, sans ses hardes, et surtout sans ses compagnes : - C'est que dit-elle, "mes amies sont déjà rentrées. J'ai trouvé au gué Riotais une mendiante qui m'a aidée à finir ma lessive et s'est proposée aussi pour laver le linge que j'ai encore ici. Je viens le chercher".

 

- Qu'est ce que ça veut dire ? reprit le mari. Qui est cette femme ? Comment peux-tu accorder confiance à quelqu'un que tu ne connais pas ?.

 

- Oui, je sais. Mais cette femme a l'air très gentille...

 

Et puis elle s'est offerte de m'aider. Ce n'est pas moi qui le lui ai demandé.

 

Mais la femme ne réussit pas à convaincre son époux:

 

- Non ! Non ! tu ne vas pas retourner à la rivière ce soir ajouta-t-il. Il se fait déjà tard.

 

Demain matin il sera toujours temps de retourner chercher les hardes que tu as laissées au bord de l'eau. Jusqu'à maintenant il n'a jamais été vu de mendiante se promener le soir au gué Riotais. Je ne comprends rien à ton histoire. Les deux époux rentrèrent chez eux et se mirent à souper avec leurs enfants. La femme cependant ne pouvait s'empêcher de penser à celle qui lui avait donné un coup de main à faire sa lessive et avait mérité, elle aussi, son souper. Elle ne comprenait pas les réticences de son mari.

 

Tellement absorbée dans ses pensées, elle entendit à peine les coups frappés à l'huis.

 

- Entrez ! cria le mari. La porte s'entrebâilla tout doucement en grinçant sur ses gonds. S'y dessina alors la silhouette d'une femme que l'épouse du paysan n'eut aucune peine à identifier, malgré la pâle clarté de la chandelle éclairant la pièce, comme celle qui l'avait aidée tout à l'heure.

 

- C'est à toi que je m'adresse lui dit la soi-disant mendiante. Tu as bien fait de ne pas revenir à la rivière ce soir. En même temps, de sa main décharnée, elle souleva un coin du châle qui lui recouvrait le visage : l'espace d'une seconde apparut le spectre de la mort. Mais d'un geste rapide la même main avait déjà refermé la porte et la lavandière d'un soir s'était sauvée dans la nuit.

 

Devant cette vision macabre la femme et les enfants poussèrent de grands cris et éclatèrent en sanglots. Le mari, lui, resta sans voix. La soirée se serait sans doute achevée dans le silence, si, avant de se mettre au lit, la femme encore toute troublée n'avait dit à son homme :

 

- Je n'aurais jamais imaginé que la mort pût se promener sous ce déguisement. Tu as eu raison de ne pas me laisser retourner au gué Riotais. Je n'en serais jamais revenue vivante.

 

Le lendemain matin ce récit des événements de la veille fit trembler de peur les autres femmes de la Chopinais. Pour ne pas avoir à subir la même aventure, elles décidèrent de ne plus laver le soir. Leurs amies de Mâlon, qui s'en allaient aussi faire leur lessive à la tombée de la nuit près de l'île des Fougères, prirent la même décision.

 

Elles n'y retournèrent jamais. C'est ainsi que par la suite personne n'entendit plus le soir les rires joyeux et les coups de battoué, des lavandières en train de laver leurs hardes au bord de la Vilaine.

Publié dans => contes de bretagne

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