comment faire de beaux enfants ?

Publié le par mistisy

 

Il est de ces temps si anciens que même les anciens en ont oublié l’existence. Pourtant, il nous en reste encore aujourd’hui quelques subsistances. Mais ces bribes du passé vous les utilisez en parfaite ignorance des raisons qui vous poussent à en user. Ne vous êtes vous jamais demandés d’où provenaient ces expressions que vous employez dans la vie de tous les jours ? Pourquoi dit-on la semaine des quatre jeudi et pas la semaine des quatre samedi ? Pourquoi dit-on je lui parle de but en blanc et pas de but en noir ? Pourquoi parle-t-on du démon de midi et pas du diable de minuit ?

 

Et bien toutes ces questions, je peux aisément y répondre car j’ai l’avantage d’être né au commencement des temps. Je suis le gardien de la mémoire de vos aînés et cette mémoire, je peux ce soir vous la conter afin que certaines existences ne soient pas oubliées.

 

Je m’appelle Yaouen Le Malin, certains d’entre vous me connaissent déjà, les autres pas encore. Je suis le premier homme qui naquit en ce monde et comme je suis le seul humain à posséder le moyen d’esquiver la faux de l’Ankou, j’en serai aussi le dernier. L’histoire que je vais vous conter ce soir vous semblera tantôt incroyable, tantôt inacceptable, pourtant, pourtant je peux vous assurer que tout ce qui va suivre s’est réellement passé car ce que je vais vous raconter je ne le tiens de personne, j’y ai tout simplement assisté. J’ai décidé de donner ce soir aux jeunes mariés la recette immanquable pour faire de beaux bébés. Etes-vous bien installés ? Attention ! L’histoire va débuter ! Mais n’oubliez pas ! Une fois que vous l’avez commencée vous devez la lire d’une traite jusqu’à la fin. Car l’histoire meurt, si vous la quittez…

 

 

 

…Il y a de cela fort longtemps, du temps où les livres n’existaient pas encore, je me promenais nonchalant à la nuit tombante sur un petit chemin de terre reliant les hameaux de Kerascoët et Kercanic dans le sud de cette terre que vous appelez aujourd’hui … Finistère.

 

Si dans cette région le début du mois de mai offre habituellement des températures plutôt clémentes je peux vous assurer que ce n’était pas le cas cette année-là , et autant vous l’avouer tout de suite, je n’avais pas envie de passer la nuit à la belle étoile en essayant de me préserver du froid.

 

Je remarquai donc, à l’orée d’une forêt de conifères, de la lumière provenant d’une petite maison de bûcherons. Sur la droite de celle-ci, des abeilles tournoyaient autour d’une ruche faite en pailles de sarrasin tressées. Je me suis approché tout doucement de la petite maison. J’y ai jeté un œil à l’intérieur à travers la petite fenêtre à quatre carreaux d’où provenait la salvatrice lueur. Il semblait n’y avoir personne. Cependant mes yeux ne pouvaient pas se détourner de l’âtre de la cheminée dans lequel une bonne flambée semblait chauffer toute la maisonnée.

 

Transi de froid, n’y tenant plus, je me servis du bâton sur lequel je m’appuyais pour avancer dans les sentiers escarpés pour frapper trois coups à la porte de la si douillette chaumière. Une voix d’homme me répondit.

 

 

 

« Qui va là ? »

 

« Je m’appelle Yaouen le Malin, je ne suis qu’un pauvre malheureux qui sillonne le monde à la recherche d’un havre de paix et de bonté ! »

 

« Que voulez-vous ? »

 

« Il fait froid ! Je m’étais dit que, peut-être, vous auriez pu m’héberger pour passer la nuit au chaud ! »

 

 

 

La porte s’entrouvrit. Dans l’entrebâillement de la porte je distinguai un solide gaillard dont les larges épaules me masquaient entièrement la source de la divine chaleur. L’homme me toisa de haut en bas, puis de bas en haut.

 

 

 

« C’est bon ! Entrez ! » Me dit-il d’un ton bien moins autoritaire que ne le laissait présager son apparence.

 

« Merci ! » Lui répondis-je en franchissant le pas de la porte.

 

 

 

Je n’avais pas osé ajouter un mot de plus de peur que le lourd battant ne se referme sur mes paroles. L’homme m’invita à approcher jusqu’à la tablée.

 

 

 

« Nous avons déjà dîné ! Il ne reste qu’un fond de soupe dans le chaudron ! Et un quignon de pain que ma femme avait posé là à l’occasion ! » Me dit-il en me montrant le modeste bout de pain abandonné sur le coin de la table.

 

« Les gens qui pensent à préserver la part du pauvre sont de plus en plus rare de nos jours ! Soyez en graciés ! » Lui répondis-je en exécutant un semblant de révérence.

 

 

 

Une jeune femme superbe, âgée d’une trentaine d’années nous avait rejoint.

 

 

 

« Je vous en prie asseyez-vous près du feu ! » Me dit-elle. « Confiez-moi votre manteau ! Vous êtes trempé ! Je vais le mettre à sécher ! Approchez-vous ! N’aillez pas peur ! »

 

« Merci madame vous êtes trop aimable ! »

 

 

 

Je reprenais des couleurs au coin du feu. Ce modeste repas m’avait nourrit bien plus qu’un banquet de roi car l’accueil de ce couple m’avait fait tellement de bien que j’en avais oublié les gargouillements de mon ventre affamé.

 

 

 

« Vous êtes des gens biens ! Comment vous appelez-vous ? » Leur demandai-je.

 

« Je suis Fanch Le Maguer ! » Me répondit l’homme. « Et voici mon épouse, Nolwenn ! »

 

« Fanch, Nolwenn, je ne saurais vous remercier de toutes ces largesses, de tant de bonté ! Si je puis faire quoi que ce soit pour vous ! Demandez ! Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous rendre service ! »

 

« Hélas mon pauvre Yaouen ! Vous ne pouvez rien contre notre malheur ! » Me dit Nolwenn.

 

« Ai-je bien entendu le mot malheur ! Voyons ! Comment des gens si bons peuvent-ils être dans le malheur ! Cela ne se peut ! Dites moi tout ! Et je ferai tout mon possible pour vous rendre heureux ! »

 

« Rien ! Vous n’y pouvez rien ! » Me répéta la jeune femme qui sortit de la pièce en pleurant.

 

« Ai-je dit quelque chose qui n’allait pas ? » Demandai-je à Fanch.

 

« Ce n’est pas votre faute ! Vous ne pouviez pas savoir ! Nolwenn ne vous en tiendra pas rigueur ! Toujours est-il qu’il y a bien une chose qui fait notre malheur et ma pauvre femme en perdrait presque la raison de désespoir ! »

 

« Et si vous consentiez à me raconter votre histoire ! Peut-être pourrais-je vous aider ? »

 

« Il n’y a aucune chance que vous puissiez nous aider mon pauvre Yaouen ! Mais… Cela me fait du bien d’en parler ! Cela me soulage ! Si vous consentiez à m’écouter, je veux bien tout vous raconter ! »

 

« Je suis pendu à vos lèvres ! Parlez ! Parlez si cela peut vous faire du bien ! »

 

 

 

Et Fanch me raconta son incroyable histoire.

 

 

 

« Le jour où j’ai vu Nolwenn pour la première fois, j’en suis tombé tout de suite amoureux. Je l’ai très rapidement demandée en mariage à son père et ce dernier consentit à me donner sa main. Seulement le jour de nos noces, il se produisit un fait qui allait faire basculer notre existence. Il y avait, dans le village de Nolwenn, une vieille femme que tout le monde détestait, elle faisait de la magie noire. Aux yeux de tous, c’était une sorcière qui conversait avec le diable. Or ce jour-là, elle est venue au village. Les gens du hameau s’en sont pris à elle, le ton à monté. Le père de Nolwenn faisait partie des plus enragés. Ces bonnes gens ont fini par l’attraper et l’ont attachée à un bûcher de fortune, hâtivement dressé. J’aurais voulu les en empêcher, j’aurais pu les en empêcher, j’aurais du les empêcher, mais je n’ai rien fait. Alors que les flammes léchaient les jambes de la malheureuse, celle-ci se mit à crier, à hurler. Elle nous lança un mauvais sort. Jamais Nolwenn et moi n’aurions de beaux enfants, toute notre progéniture serait difforme et aucun d’entre eux ne pourrait vivre plus de trois jours. C’était… C’était bien une sorcière. Depuis ce jour, je me suis promis de toujours faire le bien auprès de mon prochain. Mais c’était trop tard, le mal avait déjà fait son œuvre, et, malheureusement, la prophétie s’est accomplie. Nous avons déjà enterré nos trois premiers nés dès leur naissance. Voilà notre grand malheur auquel vous ne pouvez rien. Jamais nous ne pourrons avoir d’enfant qui vive suffisamment longtemps pour profiter de notre amour. »

 

« En arrivant, j’ai vu une ruche à l’extérieur ! Est-ce que votre femme en a parlé à ses abeilles ? »

 

 

 

J’avais répondu sans réfléchir, de but en blanc, comme je disais précédemment. A tout dire, le regard de Fanch trahissait largement ce que le bûcheron pensait de l’état de mon esprit. Il ne disait plus un mot. Je lui ai reposé ma stupide question.

 

 

 

« Est-ce que Nolwenn en a parlé à ses abeilles ? »

 

« Grand Dieu non ! Que voulez-vous que nos abeilles puissent y faire ! »

 

« Me croirez-vous si je vous disais que j’ai beaucoup voyagé ? »

 

« Certes oui ! »

 

« J’ai donc pu voir des choses dont vous n’avez point connaissance ! »

 

« Certes ! Mais je ne vois pas ce que les abeilles peuvent faire dans ce cas-là ? »

 

« Sachez mon bon ami que je vous crois quand vous me dites que les sorcières existent car j’ai moi même eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs ! Cependant, si les sorcières existent, les fées existent aussi ! »

 

« Les fées ? »

 

« Ce que le mal a créé, le bien peut le faire aussi ! »

 

 

 

Fanch me regardait l’air hagard, de plus en plus dubitatif sur ma santé mentale.

 

 

 

« Mon bon Fanch si le bien a donné des ailes aux abeilles, ce n’est pas vraiment pour les aider à butiner. C’est tout simplement parce qu’elles sont les bonnes fées qui garantissent le bien être de notre monde ! Appelez votre femme je vous prie ! »

 

 

 

Fanch, bien qu’incrédule, alla chercher son épouse.

 

 

 

« Votre époux m’a tout raconté ! Il y a peut-être un moyen de conjurer le mauvais sort ! »

 

« Un moyen ? Vous connaissez un moyen ? » Me dit la jeune femme dont le visage s’illuminait.

 

« J’ai bien dit peut-être ! Seulement vous devrez faire tout ce que je dis même si cela peut vous paraître farfelu ! »

 

« Je ferais n’importe quoi pour avoir un bel enfant ! »

 

« Demain matin au lever du jour, vous irez raconter votre histoire à vos abeilles ! L’une d’entre-elles vous donnera la réponse que vous attendez ! »

 

 

 

Le visage de Nolwenn reprit l’aspect du désespoir.

 

 

 

« Vous êtes prête à faire n’importe quoi ! Alors ! N’hésitez pas ! Demain matin, au lever du jour, vous irez raconter votre histoire à vos abeilles ! L’une d’entre-elles vous donnera la réponse que vous attendez ! »

 

 

 

Le lendemain matin Nolwenn alla raconter son histoire devant sa ruche. Une petite abeille s’approcha de son oreille et bien que cela paraisse à Nolwenn inacceptable, il lui sembla qu’elle lui disait ceci :

 

 

 

« Tous les soirs, avant d’aller te coucher, tu avaleras une cuillerée de notre miel ! Tu feras cela pendant vingt-huit jours ! Tous les soirs ! N’oublie pas ! Une cuillerée de miel ! Pendant vingt-huit jours ! Et tu auras de beaux enfants ! »

 

 

 

J’avais laissé Fanch et Nolwenn à leurs réflexions, et je repris la route que m’indiquait mon destin.

 

 

 

Cinq ans plus tard, ce même destin me fit passer de nouveau sur ce petit chemin situé entre les hameaux de Kerascouët et Kercanic. N’hésitant pas à faire un petit crochet, je me suis rendu à la maison de Fanch et de Nolwenn. Je vous jure !, Oh ça oui ! Je vous jure !, Que j’y ai vu !, De mes yeux vu !, Deux adorables têtes blondes qui jouaient et riaient devant la maison. Il y avait même un troisième Cherubin endormi dans son berceau de bois.

 

J’ai passé une journée merveilleuse en compagnie de la plus adorable des familles…

 

 

 

Je savais bien que cette histoire vous semblerait incroyable. Seulement je peux vous prouver que ce que je dis est vrai. Car vous tous qui m’écoutez, vous utilisez sans le savoir une expression qui tire son origine est cette histoire !, Savez-vous que vous pensez à Fanch et à Nolwenn parfois ?

 

Non ?

 

Attendez ! Je vous parlais tout à l’heure de ces expressions que vous utilisez sans en connaître le sens ! L’abeille a demandé à Nolwenn de manger une cuillerée de miel pendant vingt huit jours ! Vous êtes bien d’accord ! Or, vingt huit jours ! Cela ne vous dit rien ! C’est un mois lunaire ! Mais oui messieurs dames ! C’est en mémoire de Fanch et de Nolwenn que depuis ces temps reculés les gens appellent la nuit des noces : La Lune de miel !

 

 

 

Vous voyez bien que je vous ai dit la vérité !

 

Quoi ?

 

Vous avez encore une question ?

 

Pardon ?

 

Comment ai-je su que les abeilles étaient des fées ?

 

Ah ça ! Messieurs, dames ! Si je vous disais tout ce que je sais !

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans => contes de bretagne

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V
.
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A
Très jolie petite histoire.<br /> Je me demande souvent d'où vient l'expression "Lune de Miel" et cette explication me convient tout à fait.
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