Le Fantôme de Chateau-blanc

Publié le par mistisy

Un opulent château fort s'élevait autrefois au bord de la Vilaine, à l'endroit où s'y jette le ruisseau de Tréfineu. Une haute muraille le ceinturait, elle s'avançait même jusque dans le lit de la rivière.

 

La forteresse avait été témoin de bien des combats et avait soutenu aussi, bien des sièges. Du dernier surtout, elle gardait un mauvais souvenir. Les Anglais avaient installé une puissante artillerie en face, sur la rive de Messac, et l'avaient longuement bombardée avant de s'en emparer. Les cicatrices de cette bataille étaient encore visibles mais, malgré tout, le chemin de ronde permettait d'en faire le tour.

 

Pour l'heure la paix était revenue. Le puissant seigneur du lieu y coulait des jours heureux en compagnie de son épouse, de quelques serviteurs, et d'une petite troupe de gardes dont la principale occupation était de surveiller les bateaux qui remontaient ou descendaient la rivière, afin de leur réclamer un droit de passage.

 

Le commerce étant florissant à l'époque, les droits rentraient régulièrement et les propriétaires du château s'enrichissaient d'autant plus facilement que les beaux domaines situés à proximité leur appartenaient aussi.

 

Des fées espiègles habitaient l'une des tours de la forteresse. Elles passaient le plus clair de leur temps à babiller joyeusement en parcourant le chemin de ronde et aussi à faire des farces à ceux qu'elles pouvaient approcher.

 

Rien de la vie du château ne leur échappait. Elles en surveillaient toutes les allées et venues. En particulier, elles prenaient beaucoup de plaisir à regarder passer les paysans et paysannes qui s'en allaient au port de Guipry ou en revenaient lors des grands marchés du mercredi et du vendredi. C'est qu'en effet les habitants de la Michelaie et de la Chênaie, pour s'y rendre, empruntaient le chemin qui franchissait le Tréfineu au pied du château et continuait ensuite vers la métairie du Liriot et le marché de la halle.

 

Le passage de Tréfineu s'avérait périlleux en hiver : le niveau du ruisseau était élevé et le courant puissant. Il n'y avait pas de pont, un gué seulement. Lorsqu'un paysan tirant sa bête s'y engageait, les fées s'en approchaient au plus près et imitaient le hurlement du loup. La pauvre bête affolée faisait alors des bonds de cabri, rompait la corde qui l'entravait et détalait aussi vite qu'elle le pouvait vers son point de départ.

 

Il ne restait plus à notre paysan qu'à retourner la chercher.

 

Il est arrivé souvent qu'un fêtard rentre tard dans la nuit après avoir fait plus longuement que de coutume le tour du marché... et copieusement arrosé ses retrouvailles avec des amis. Sur le chemin du retour, il longeait alors discrètement les murailles du château. Soudain, les cris aigus et lugubres d'une effraie (la fesaie en parler de Guipry) le sortaient de sa nonchalance. Saisi de peur, le gars se sauvait à toutes jambes, prenant le risque d'une baignade forcée dans le ruisseau, tandis que les fées éclataient de rire en pensant au tour pendable qu'elles venaient de lui jouer.

 

Seuls les bateliers qui voguaient sur la rivière trouvaient grâce à leurs yeux. Du chemin de ronde elles leur adressaient des signes amicaux. Elles en avaient le loisir : le temps qui leur était nécessaire pour s'acquitter de leurs droits de passage était si long !

 

"Pauvres bateliers, se disaient-elles, ces droits sont excessifs ". Aussi avaient-elles imaginé un stratagème pour les faire passer sans payer : elles les incitaient à se présenter à la tombée de la nuit, heure propice à l'assoupissement.

 

Pendant que quelques fées s'occupaient des hommes du corps de garde, leur apportant des boissons soporifiques, d'autres bloquaient les portes d'accès au chemin de ronde.

 

Les bateliers pouvaient ainsi doubler le château sans bourse délier, à la barbe des gardes qui sommeillaient.

 

Mais le seigneur du lieu veillait. Se rendant compte de la manœuvre, il tentait d'atteindre le chemin de ronde pour héler les fraudeurs. Hélas ! les portes étaient fermées. Il entrait dans une rage folle et jurait tous ses grands dieux qu'il allait se débarrasser des fées. Mais les petites coquines avaient déjà disparu et de leur cachette elles se délectaient des imprécations proférées à leur encontre.

 

À l'automne de ses jours le seigneur était devenu acariâtre et avare : il amassait de plus en plus d'argent. L'attitude des fées l'exaspérait et, malgré toutes les ruses qu'il imaginait, il n'avait pas réussi à les faire déguerpir.

 

Un jour qu'il les poursuivait, il tomba dans un escalier, victime d'un malaise. Sa maladie fut de courte durée. Il mourut au bout de quelques jours sans avoir assouvi son désir de vengeance.

 

Mais, de l'au-delà où il se morfondait, il décida un jour de revenir sur terre se venger. Recouvert d'un drap blanc, agitant une chaîne en fer dans sa main gauche, il arriva une belle nuit d'été sur le chemin de ronde à une heure où les fées s'y prélassaient. Son apparition produisit plus d'effet qu'une tornade: effrayées, les fées poussèrent de grands cris et disparurent dans un tourbillon au-dessus de la Vilaine...

 

Nul ne les revit jamais.

 

Méfiant, l'ancien maître des lieux revint à plusieurs reprises, toujours sous sa vêture de fantôme, s'assurer qu'elles avaient décampé pour de bon. Les paysans de la région, qui le virent arpenter pendant ces nuits le chemin de ronde du château, en éprouvèrent une grande peur et en souvenir appelèrent le château " Château-Blanc ".

 

La dernière nuit qu'ils l'aperçurent, le seigneur n'agitait pas sa chaîne habituelle : il serrait fortement contre sa poitrine une cassette à laquelle il semblait beaucoup tenir.

 

Sans doute emportait-il avec lui son trésor dans l'au-delà, car personne, malgré toutes les recherches effectuées, n'a jamais retrouvé celui que l'on disait enfoui près du Château-Blanc

 

(Tradition orale de GUIPRY).

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